Judo : affaire TRAN Trung-Huong 1954

Judo : Affaire TRAN Trung-Huong – 1954

(Sources : Bulletin officiel de la Fédération Française de Judo et de Jiu-Jitsu – Collège des Ceintures noires de France n°41 – 5ème année – (1954)

« UN ACCIDENT DEPLORABLE »
« Le (professeur) TRAN Trung-Huong – l’un des meilleurs judokas d’Europe, promoteur en France de la méthode Vo et Vat, 7° Dan (sic) – a succombé mardi soir au cours d’une prise d’étranglement dont il voulait démontrer la parade, etc. » (Extraits de journaux).

BO FF Judo n°41 – 1954 :
« Nous l’avons dit et répété toutes les fois – nombreuses – que l’occasion nous en fut donnée : dans l’état actuel de la législation du Sport Français, n’importe qui, n’importe comment, n’importe où, n’importe quand, peut se prétendre professeur de Judo.
Les seules garanties qui soient assurées aux pratiquants et aux responsables officiels de nos destinées sportives, c’est nous, Fédération Française de Judo et Collège des Ceintures noires de France, qui les fournissons.
Le Judo – que nous le considérions comme un sport au sens le plus strict, ou bien au contraire avec l’indispensable prise de conscience qu’implique sa pratique et à plus forte raison sa pédagogie – est dépourvu de danger s’il est étudié dans des conditions normales et sous la responsabilité de professeurs qualifiés.

Par contre, l’utilisation à des fins commerciales de son soi-disant aspect mystérieux et pseudo-oriental par des personnes indignes de confiance, peut en faire un instrument très dangereux et très préjudiciable à la santé, à la sécurité, à la tranquilité de ses adeptes….. et de ceux qu’ils côtoient.
Oui, nous l’avons dit et répété : une responsabilité nous incombe à laquelle d’ailleurs nous faisons face seuls, et à laquelle il nous faudra continuer de faire face au moins sur le plan de la technique et de la pédagogie, dans l’intérêt de tous les pratiquants français.
Nous avons – parce que c’était notre devoir – demandé aux officiels qu’ils se décident à assumer pleinement et complètement, avec notre concours le plus entier, les responsabilités administratives qui leurs incombaient de par leurs fonctions.

Nous nous sommes heurtés, il faut bien le dire, non pas à une mauvaise volonté ou bien à quelque incompréhension systématique des problèmes qui se présentaient à nous et que nous nous proposions de contribuer à résoudre, simplement à cette lenteur administrative qui s’accompagne sans doute de stabilité, d’équité, mais semble l’apanage de toute administration soucieuse de son standing.
Le très regrettable accident qui s’est produit voici quelques jours, vient, une fois de plus hélas ! de nous donner raison de harceler les Pouvoirs publics.
Est-ce vraiment prétention exorbitante de notre part que de chercher à instaurer – comme cela existe déjà dans quelques autres disciplines sportives qui le méritent certes, mais pas plus que la nôtre : alpinisme, ski, escrime, natation – un diplôme d’Etat qui nous permette d’accomplir de façon encore plus complète notre tâche : développer le plus possible la pratique du Judo français dans les meilleurs conditions et continuer d’obtenir des résultats dont peuvent s’enorgueillir nos couleurs.

J. GAILHAT


DERNIERE HEURE – Un communiqué de l’A.C Boulogne-Billancourt est paru dans L’Equipe du 7 juillet, sous le titre : « L’A.C.B.B. défend son professeur » (il s’agit encore une fois de M. Tran-Trung-Huong), et cette défense serait soutenue par M. Verrey, membre du Comité Directeur de l’ACBB.
Ce faisant, M. Verrey répond sans nul doute à des sentiments fort honorables, mais absolument pas à la question qui se pose et s’impose.
Il n’est jamais entré dans nos vues d’attaquer la personne de M. Tran-Trung-Huong ou de lui refuser un hommage que son « esprit sportif » ou son « désintéressement » pouvait mériter ; uniquement à propos du malheureux accident dont il fut victime, de constater et de déplorer l’absence de législation et de règlementation dans l’enseignement actuel du Judo français, ce qui constitue une lacune extrêmement grave que nous sommes absolument les seuls à combler dans toute la mesure de nos possibilités.

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COMPTE-RENDU DE L’ACCIDENT
SURVENU A M. TRAN-TRUNG-HUONG

Pour la première fois dans les annales du judo un accident mortel est à déplorer. Dieu merci, il ne s’est pas produit dans une salle contrôlée par la Fédération Française de Judo et dirigée par une Ceinture Noire appartenant au collège.

La victime de cet accident stupide est un jeune Indochinois, M. Robert Tran-Trung-Huong, promoteur en France d’une méthode vietnamienne appelée « Vo et Vat ». Disons tout de suite que M. Huong n’était pas Ceinture Noire. Il s’était donné lui-même le grade de 7° Dan de sa méthode qu’il enseignait dans le local appartenant à l’A.C.B.B.
C’est l’ignorance même des notions élémentaires du judo qui sont à l’origine du drame. Le professeur le moins averti n’eut pas pris un risque semblable. Pour avoir trop présumé de ses capacités en la matière, M. Huong est mort étranglé par l’un de ses élèves.
Le 22 juin dernier, à 21 heures, une vingtaine de pratiquants se trouvaient dans la salle où enseignait le directeur technique.
Après une leçon collective, un élève le jeune Pierre C……., 17 ans, inscrit au Club depuis deux mois, fut prié d’effectuer le 2ème étranglement sur un autre élève. Cet exercice se passa sans incident, le partenaire ayant averti à temps de l’efficacité du mouvement.
M. Tran-Trung-Huong invita alors le jeune Pierre C….. à lui placer cet étranglement en précisant : « Vous tiendrez à la limite de vos possibilités. Je veux démontrer à vos camarades comment sortir de cette position ». L’élève, piqué au vif, tint sa strangulation comme il put. Après une minute, il ne contrôlait plus sa prise, mais ne se résolut pas pour autant à abandonner. Il maintint le contact. Le professeur, le cou serré, ne frappa pas. Son amour-propre s’était engagé imprudemment dans ce combat dont il devait sortir vainqueur sous peine de perdre la face. Pierre C…. maintint la prise encore deux minutes, alors que depuis longtemps Huong ne réagissait plus. Il prit cette inertie pour une feinte. Quand il lâcha, il était trop tard. Le promoteur de la méthode « Vo et Vat » était mort.

L’autopsie pratiquée par le Dr Desrobert, médecin légiste, à la demande de M. Baurès, juge d’instruction, devait établir que le décès de Huong était consécutif à une asphyxie par obstruction des voies respiratoires.
Le praticien releva deux traces d’écrasement de la trachée. Il ne s’agissait donc pas du 2ème étranglement mais d’un étouffement pur et simple, l’élève, comme il lui avait été demandé, avait mis tout son coeur à tenir. Robert Huong était, en quelque sorte, la victime d’un pari stupide.

Une information judiciaire a été ouverte pour rechercher les causes de la mort. Elles sont établies, il reste à définir les responsabilités. Il est vraisemblable que le jeune Pierre C… va se trouver un jour inculpé d’homicide involontaire. Cette inculpation posera un point de droit fort délicat, car M. Huong offrait-il toutes les garanties exigées pour le poste de directeur technique d’une méthode nouvelle appliquée sans le contrôle de la Direction des Sports ou d’une fédération reconnue ? En dehors de l’enquête policière, il est prouvé que M. Huong n’avait pas la notion des strangulations car il eut prévenu ses élèves que tout le monde est à la merci d’un étranglement porté dans les règles. Pour avoir négligé cette dernière précaution, M. Huong a payé de sa vie.
Que la leçon ne soit pas oubliée.

GHERRA

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